LA BRIGADE CHIMERIQUE

» Posted on 23 décembre 2010 in BD / Mangas

Colin/Lehman / Gess/ Bessonneau  (L’Atalante)

Pourquoi l’Europe n’a pas de super-héros…

La réponse est terriblement triste : ils sont morts !

Quand Adèle Blanc-Sec et Hellboy rencontrent les X-Men sous l’oeil bienveillant de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires et de Fantomas ! La Brigade Chimérique est une bd savante, fantastique et merveilleuse, à tous points de vue.

Les super-héros français et européens ont eu leur chance. Ils auraient pu exister aux côtés de Superman, Batman et autres Iron Man. Mais voilà,  les super-héros d’aujourd’hui sont américains et les européens sont tombés dans l’oubli. La catastrophe a eu lieu juste avant la seconde guerre mondiale ; à l’époque, avant l’électronique et le nucléaire, on avait le radium… A l’époque, le Nyctalope veillait sur Paris, et, dans les tranchées de la Somme, des surhommes naissaient, sous l’effet des gaz de combat…

L’idée même d’inventer un passé de super-héros à cette Europe si rationnelle, l’idée de départ de cet univers est géniale. S’appuyer sur  l’imaginaire des écrivains scientifiques des frontières du XIXé et XXème siècle (Jules Verne, Wells…), leur adjoindre la verve des romans feuilletons du début du XXème siècle en est une autre !

Asseoir le récit avec des références littéraires « sérieuses » (Nietszche, Kafka, Breton et Jung !), lui donner une réalité scientifique mâtinée de magie (pour les spécialistes qui aiment bien les noms pour savoir dans quelle sf on est, ici, on serait en sf/uchronie/radiumpunk : comme la vapeur dans le steampunk, mais avec le radium, élément radio-actif découvert par les Curie) : l’amateur de culture  est gâté, on est loin des onomatopées hulkiennes.

Et puis enfin,  se servir des évènements politiques européens de l’entre-deux guerres. Les auteurs ont donné à leur tragédie le cadre historique le plus noir : l’ambiance folle et pré-apocalyptique des années 30, l’avènement du nazisme et la défaite des démocraties. L’inspiration de Colin et Lehman est autant politique que culturelle… Voilà qui donne un récit d’une grande force, avec des super-héros humanisés sans artifices, -voire psychanalysés- (au contraire des américains qui sont obligés d’inventer des états d’âme un poil convenus/tirés par les cheveux à leurs héros pour leur donner de la consistance)

Accroché par le scénario, le lecteur est donc fou de joie, émerveillé par la splendeur (trop fort, le mot ? ah ça non !) des dessins, flatté par l’intelligence du propos, envoûté par l’atmosphère. Et…

Et la baston ?

Et parfois frustré ! Voire un peu perdu. Les ellipses sont nombreuses (pas facile à suivre du moins dans un premier temps). Trop court, hurle t-on ! Certains passages sont honteusement écourtés (ah ce face à face Brigade/Mabuse !) : privilégier l’intellect, caresser l’inconscient, certes, mais un peu de baston n’aurait pas fait de mal ! Un défaut qui, après plusieurs relectures, se révèle  être une qualité : il n’y a pas de délayage ! Pas de gras, pas trop de muscles, juste du squelette, du bon vieil os ! Quand même, une petite visite musclée de Falifax dans Metropolis, ou un face à face avec les Mécanoïdes de Nous Autres, hein, on aurait bien aimé ça, nous, quand même, une bonne petite bagarre sadique…)

Preuve de la force de la Brigade, sa nostalgie, ces regrets que l’on éprouve, de ne pas avoir eu/connu/vécu ces personnages et cette époque intellectuellement fascinante. Une mélancolie non factice imprègne chaque page de la bd : est-ce mon inconscient qui remue dès qu’on parle de première guerre mondiale (aparté -la période me fascine et si j’étais… euh… medium, bouddhiste ou un truc un peu sympa dans ce genre, je me dis que j’ai dû être soldat dans une de mes vies antérieures. Ou alors est-ce l’esprit de l’un de mes grands-oncles, tombé à Verdun ? Ou alors, c’est mon imagination ado nourrie entre autre à Tardi, Barbusse et aux Brigades du Tigre qui ressurgit ? Hum, bon laissez-moi rêver, si ça se trouve j’ai vraiment été fusillé aux chemins des dames parce que je ne voulais pas me battre- fin de l’aparté)… toujours est-il qu’en refermant les dernières pages du sixième tome, on éprouve un vrai sentiment de tristesse, (en même temps que des frissons d’admiration épouvantée, notamment face à la sublime métaphore graphique lors de l’ évocation des camps de concentration).
Au final, une bande dessinée de référence, un classique des classiques à ranger parmi vos Jules Verne et vos Alan Moore !

Dire bonjour à la Brigade Chimérique ?

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1 Comment

  1. Magnifique bd, et votre critique est parfaite aussi.

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