LES CORNES D’IVOIRE – AFIRIK-

» Posted on 16 avril 2013 in Romans

Lorris Murail – 2011- Pocket

L’ivoire, plutôt que l’ébène.

Si l’Europe s’était effondrée au Moyen-âge, l’Afrique, serait devenue le continent civilisé de la planète. Découvrant l’électricité, inventant l’avion, explorant le monde… Voilà un roman qui fera date, une belle uchronie simple, forte : et si le continent noir était le maître, et les blancs, ses esclaves ? Une transplantation historique parfaite !

L’Afirik, c’est l’Afrique, comme vous ne l’avez jamais vu. Le Sunugaal, avec sa riche province de Kassamanssa et ses riches propriétaires terriens ! Là de grandes maisonnées vivent bon train, servies par les esclaves blancs, amenés là lors des grandes expéditions vers le continent du nord.

La famille Samba est l’une de ces riches familles, l’équivalent des O’hara de « Autant en emporte le vent ». Le père se vante de financer les projets culturelo-scientifiques d’un citadin éclairé connu pour ses collections d’antiquités venues des pays du nord. La mère, à moitié folle, tient son mari et ses serviteurs d’une main hystérique. Quant aux enfants, ils sont au mieux odieux-pourris-gâtés. Au pire…

« Face de babouin »

Dans cette belle société, civilisée, raffinée, intellectuellement et économiquement développée, mieux vaut ne pas être « tête de babouin » ou « face de craie » !

Les blancs sont ici les sous-hommes. Ils vivent dans le mépris et le dégoût ceux qui les utilisent : insultes, coups, humiliations et privations sont leurs lots, depuis des générations. Et quand certains noirs trouveront à les défendre, ce sera parfois par humanisme, le plus souvent par condescendance.
Le récit, fort, direct, s’attache au destin d’une jeune fille de 15 ans, Mari. Au début de l’histoire, son sort est l’un des plus enviables parmi ceux des esclaves des Samba : elle est le jouet de l’insupportable et attachante petite benjamine des Samba.
Mais ses rêves de liberté, son fier caractère vont rapidement la plonger en enfer… S’émanciper, oui, mais à quel prix ? Pour faire quoi et en quelle compagnie… ?

Edité pour la jeunesse, « Les Cornes d’ivoire » fait pourtant partie de ces romans qui  accrochent le public le plus large, dès 12 ans : il m’a tenu en haleine, sans doute parce que Lorris Murail n’a pas édulcoré les aventures de Mari. Trop souvent en science-fiction jeunesse (et pas que en science-fiction), décors et concepts, aussi brillants soient-ils, se retrouvent artificiellement plaqués sur des caricatures de personnages.

Pas ici. La reconstruction historique est un modèle du genre : l’évocation du passé historique de l’Europe (ici, Septentrion),  les symboles de la religion catholique rabaissé au rang de la superstition, la déchéance physique mentale et spirituelle de l’homme blanc fait mieux que sonner juste : elle est crédible, parce qu’entièrement inspirée par les souffrances du peuple africain dans NOTRE réalité !

C’est la force de ces « Cornes d’Ivoire », la raison pour laquelle on y croit.

Et puis, il y a l’écriture de Lorris Murail. Il donne vie à son monde, avec la plus grande sobriété de style, apportant  très justement, ce qu’il faut d’emphase à ses descriptions pour que le lecteur s’y abandonne.

De « la case de l’Oncle Tom » à Philip K. Dick en passant par Dickens !

Par les mots tendres d’une vieille gouvernante, ou les ordres secs d’un contremaître brutal, via les confidences alcoolisées d’un capitaine obèse, ou les envolées embrumées d’une ado branchée… l’Afirik de Lorris Murail est vivante.
La brousse  noyée sous les orages de la saison d’automne, les rues de Ziguinchor  la débauchée (magnifique description d’une capitale imaginaire à la fois sauvage, barbare, moderne et civilisée !) : les courses désespérées de Mari plongent le lecteur au coeur des couleurs, des sons et des parfums de l’Afirik ; ceux qui aiment l’Afrique ne seront pas dépaysés par l’Afirik !

Le rythme de l’action est parfait… sans cavalcades inutiles, ni complaisance en vains dialogues. Mari ne se contente pas d’enchaîner des péripéties à la Dickens ; elle grandit en même temps qu’elles. Et ce parcours psychologique qui transformera la petite fille rêveuse en adolescente révoltée est aussi réussi que le reste.

Sur le fond, dans la forme, on approche le roman d’aventures absolument parfait ! Ce roman ne peut laisser indifférent : l’esclavage, et l’Histoire, tels qu’ils sont abordés  ici, vont faire parler de lui ! Un deuxième tome, Septentrion est déjà programmé.

Uchroniquemment parlant, voilà sans doute l’idée la plus brillante depuis  P.K Dick et son Maître du Haut-Château !

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Ce que vous découvrirez dans « Les cornes d’ivoire »

1- La sensation du vinaigre sur des brûlures

2- Les ressentiments d’un capitaine spécialisé dans la traite des blancs.

3 – Le goût des huîtres importées des comptoirs de Septentrion

4 – Les morsures des termites.

5 – L’humiliation d’une petite blanche incapable de déchiffrer les symboles écrits et religieux de sa propre culture

6 – La déchéance de la religion chrétienne et de ses pratiques « cannibales »

7 – L’embouchure du grand fleuve, et par delà la barre océanique, l’aventure et la liberté

8 – Le son et les odeurs des orages nocturnes sous les feuillages des rives du grand fleuve.

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4 Comments

  1. C’est excellent et inattendu ! Les sensations ressenties en Afrique sont présentes et on a vite envie de partir…
    Des passages touchants, émouvants, et des descriptions qui rendent encore vivants les sentiments. Un roman qui plaira aux jeunes et aux plus anciens… Nous sommes là-bas , enfin presque !!!

  2. Dites ça donne envie tous vos trucs la

  3. Je vais essayer les cornes d’ivoire. J’aime pas trop la littérature jeunesse j’espère que vous dites vrai…

  4. Intéressant… Connaissez vous la lune seule le sait ? Paris au XIX e siècle, avec Napoléon aide par des extra terrestres pour régner sur le monde… Génial !
    (fixxions) : oui ! Avec Jules Verne en résistant et la tour eiffel en bitte d’amarrage pour vaisseau ET, excellent !!

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